Le conte de Caro Carito suite et fin
Le
soir de Noël arriva. Dans la petite maison, les habitants semblaient
abandonnés, les vivres s’étaient faits rares. Seuls le sifflement sinistre des
bourrasques et les quintes de toux du vieillard apportaient un semblant de vie.
Lucas se tenait assis à côté de la couche où reposait l’aïeul. Ce dernier
somnolait depuis des heures, d’un repos incertain entrecoupé de réveils
brusques et haletants. L’enfant s’était approché du feu pour le ranimer quand
il entendit un souffle plus qu’une phrase : « Dans ton coffre, petit…
ton cadeau. » Il s’approcha du large corps allongé et jeta un cri
silencieux. Le vieux visage tant chéri avait la couleur de la cire et de grands
cernes s’étaient creusés sous les yeux clos. L’enfant enfouit sa tête contre le
corps du vieil homme. La douleur vrillait son corps. Il se leva machinalement
et alla vers son coffre. Il en souleva le couvercle et il trouva, emmailloté
dans un vieux chiffon, une flûte de bois clair. Il s’en empara et revint
s’asseoir près de la silhouette immobile.
Combien
de temps resta-t-il sans pouvoir rien dire ? La tristesse semblait l’avoir
englouti à un tel point qu’aucune larme n’arrivait à jaillir. La nuit était
déjà bien avancée, Lucas se leva et sortit. Si seulement, si seulement, ses
parents pouvaient revenir. Si seulement son grand-père ouvrait ses yeux. Des
milliers de pensées, de souvenirs lui traversaient l’esprit. Mais seule la
solitude du lieu lui répondait à travers de longs bruissements glacés. Il prit
alors sa flûte et se mit à souffler dans le mince cylindre. Une note hésitante
d’abord, puis d’autres qui se bousculaient depuis si longtemps dans sa tête. Il
lui sembla que toutes les mélodies, qui avaient caressé sa vie, s’évadaient et
se transformaient en sons cristallins. Il ferma les yeux et revit le cri pointu
de l’hirondelle, le sourire de l’été sur les pierres blanches, le ballet froufroutant
des abeilles. Une ritournelle, une autre encore, et les feuilles d’automne
entamaient leurs rondes glissantes et dorées. Il esquissa quelques pas de
danse, imaginant presque ses parents battant la mesure à un bal. Quelques
flocons se mêlèrent aux éclats de cristal des lustres. Ils se firent plus
nombreux, plus serrés, ballet aérien d’instants déposés dans sa mémoire et que
la musique ressuscitait un à un.
L’enfant
revint vers la masure sombre et poussa la lourde porte d’entrée. Il alla vers
l’âtre qui rougeoyait encore et s’assit silencieusement à côté du vieil homme.
Il porta la flûte à ses lèvres et... il joua des heures durant, ravivant, dans
l’humble pièce : le bruit des poutres qui craquent dans la chaleur de
juin ; le brame du cerf qui troue les nuits d’automne ; les pas
feutrés des loups dans la neige ; le murmure de la ville quand ils s’en
approchaient, transportant une commande enfin achevée. Il chuchota les caresses
de l’aïeul pour éloigner les rêves sombres qui agitaient son sommeil d’enfant
triste. Enfin, il ramena le souvenir de ses deux silhouettes courbées qui
laissaient là ceux qui leur étaient le plus chers. Ces deux êtres partis sur
les routes pour gagner leurs vies au hasard des marchés et des tréteaux de
foire ; leurs doigts caressant une mandoline alors que leurs regards se
tournaient vers l’endroit où les monts neigeux se noient dans les flots de la Dousta. Les
Il
neigea toute la nuit et le lendemain encore. L’enfant s’était endormi, roulé en
boule contre son grand-père. Tout semblait silencieux. Pourtant on aurait pu
jurer qu’une flûte n’avait pas cessé de jouer.