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Calendrier de l'avent
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19 décembre 2008

Conte de Caro Carito

Lucas allait sur ses 13 ans seulement ; le printemps n’avait pas encore pointé son nez. Un jour, où le vent faisait entendre ses gémissements, la porte d’entrée s’ouvrit avec fracas. Un Seigneur se tenait sur le seuil.  Grand et portant belle allure, on aurait même pu croire que c’était le roi lui-même tant le personnage semblait sûr de lui ! « Vieil homme, il paraît, que tu n’as pas ton pareil dans le royaume et même au-delà pour construire une viole ou un tambourin. » Il tendit une bourse rebondie. « Tiens, je veux que tu me fabriques un luth pour le printemps. Ma douce a brisé le sien et pleure chaque jour ses sons cristallins. Pour la paix de notre union, je te paierai en ducats bien pesés ? Je t’en donnerai le double si ses beaux yeux retrouvent leur éclat. » Jamais Lucas n’avait vu pareille fortune. Avec cet argent, ils pourraient réparer la toiture, acheter une poule et remplacer la vieille Lila qui ne donnait, avec peine, qu’un litre de lait un jour sur deux. Las, le grand–père se leva et murmura : « Je ne fabrique plus d’instruments de musique. » L’autre gesticula, s’emporta, supplia. Rien n’y fit. Le vieil homme ne voulait pas « Non, non, Monseigneur. Comprenez-moi Monseigneur, il y a trop de peine dans mes vieilles mains. » Il les tendit alors et elles semblaient, en effet, si vieilles, si usées, que l’on aurait dit qu’elles avaient été sculptés dans un chêne si ancien qu’il allait se briser. L’homme reprit sa bourse et s’en alla. Ni l’homme, ni l’enfant ne reparlèrent du visiteur.

La vie reprit son cours. Les journées à l’atelier se déroulaient dans le bruit râpeux des objets assemblés et poncés. Le soir, les deux silhouettes solitaires s’installaient à table pour déguster la soupe épaisse et croquer le pain bis. Le matin, dès l’aube, ils se courbaient sur les plants bien ordonnés de légumes que les premiers rayons du soleil caressaient. Pourtant, l’enfant semblait de plus en plus longtemps absent. Un pépiement plus léger, le vol d’une grive, et son regard filait au-delà de la grande forêt. Quant au vieil homme, était-ce l’âge, mais parfois une larme minuscule se frayait un chemin sur sa joue rouge et ridée. Sa silhouette, jadis massive, s’amenuisait. Une toux, jusqu’alors discrète, le secouait de plus en plus violemment le laissant exsangue à mesure que la chaleur s’enfuyait.

L’hiver de cette année-là s’annonçait déjà mordant. Sur fond de rumeurs de guerre sur les terres de frontière et d’échos de troupes qui bataillaient déjà ferme, le manteau de givre glacé s’était déjà invité, faisant fuir les oiseaux de passage. Déjà, les arbres avaient perdu leur apparence fière, déjà le gel fissurait les champs à peine retournés. La cheminée fumait sans relâche dans la petite maison que la forêt protégeait mal des courants d’air glacé qui se glissait entre elle et le flanc à découvert des monts enneigés. Pourtant, l’atelier s’était vidé de toute activité. La fièvre s’était emparé du vieillard et l’avait cloué sur le galetas qui lui tenait lieu de lit. Lucas le veillait, jour et nuit depuis des semaines. Le vieil homme avait bien essayé de donner le change pendant quelques semaines, s’attaquant à un berceau pour le futur enfant de l’échevin. Il avait dégrossi la carcasse, façonné le visage d’un angelot qui devait figurer en prou. Mais il n’avait pas pu en venir à bout. Les journées de labeur s’étaient réduites comme peau de chagrin. Les copeaux de bois qui jonchaient d’ordinaire le sol de terre battue se faisaient rares. Le regard de l’enfant et du vieillard s’égaraient parfois, accrochant le sentier qui se dessinait à travers la fenêtre. Un soir, alors que le vieil homme avait posé depuis plus d’une heure le berceau dans un coin, il demanda : « Que veux-tu pour Noël ? » Lucas, le regard perdu, ne dit mot. Il ne prononça pas le moindre mot. Seule une légère, une aérienne mélodie semblait filtrer de sa bouche close. C’est peu après que la fièvre s’empara de l’aïeul et l’obligea à déposer ses outils près du banc où il travaillait.

à suivre

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